La journée était belle, en ce début du mois de juin. Il y avait eu des escalopes de dinde à la sauce boursin au repas de midi. Les oiseaux piaillaient gaiment dans les arbres, construisant leur nid, qui abritera dans quelques jours le fruit délicat de leurs amours.
Ah, oui, l'été se profilait, beau peut-être, chaud...Et sombre.
Sombre, comme le sang qui coule, comme la mort qui s'abat, s'enroule, menaçante, autour du monde sorcier. Tout le monde était en ébullition, bonne ou mauvaise.
L'Organisation se battait, les Résistants se battaient, le Ministère se battait....Pire qu'un match de catch moldu.
Tout le monde s'inquiétait. Louis avait reçu une lettre groupée de ses parents, de Tante Lola, de ses frères et même de tante Adélaïde lui demandant de faire attention, de ne pas se laisser embobiner par les belles paroles de l'un ou l'autre camp, de se méfier de toute nourriture suspecte et autres recommandations de temps de guerre. C'est presque s'il n'avait pas reçu un colis de survie, comme on en envoyait aux prisonniers lors des guerres précédentes.
Il n'était pas vraiment inquiet, en fait.
Enfin, il essayait de ne pas l'être.
Ou plutôt, de se convaincre qu'il n'était pas inquiet.
Les explosions en pleine nuit ?
Les hurlements au fond d'un couloir sombre ?
Les taches de sang au sol ?
Les mines défaites, conspiratrices, de certains de ses camarades ?
Pas de quoi s'inquiéter, voyons....
Ou pas.
En réalité, il était terrorisé comme peut l'être un petit garçon de douze ans, materné par ses parents, rêveur et naïf.
Il était préoccupé, par les cours, par l'Organisation, par les combats, par les examens, par ce qu'il allait manger à midi, parce qu'il allait trouver dans les couloirs, par la fin du livre qu'il était entrain de lire,....Mais surtout terrorisé à l'idée d'une guerre comme il se les imaginait : sanglante, bruyante, tuant et ravageant tout sur son passage, comme une immense tornade hurlante. Il se demandait, aussi, comment être utile dans tout cela ? Il n'avait aucune compétence particulièrement utile, si ce n'est qu'il voulait aider. Peut-être aller voir à l'infirmerie, qui sait ? Il faudrait oser....Mais est-ce qu'on voudra d'un petit garçon de douze ans, là-bas ?
Enfin, pour le moment, Louis se dirigeait d'un pas plutôt guilleret vers la salle à manger, où Jean-Charles, d'Athéna, avait promis de l'aider sur sa dissertation d'histoire de la magie (« L'influence de la politique de Jean-Louis de Muscat de Rosechâtel Defleurys sur les décisions de François Cardinal de Beauliez, premier ministre sorcier de l'époque, en particulier lors de la première guerre des collines (1634-1638). Mentionnez l'impact de Jean-Robert, le raton-laveur apprivoisé de Defleurys. »). Un donné pour un rendu, bien entendu, puisque Louis l'avait aidé lors d'une dissertation sur les avantages et inconvénients du transplannage.

Bref, il était en route, l'air pensif, ses livres de cours sous le bras. Il regardait d'un air distrait par les fenêtres.
Et ce qui devait arriver, arriva.
Il buta dans quelqu'un.
Ou plutôt, dans un groupe de gens.
Des étudiants. Plus âgés. Sans doute en 7ème ou 8ème année, bientôt la fin, pour eux.
Ils rigolèrent. Croassèrent, dévoilant des restes d'épinards coincés entre leurs dents.
L'un d'entre eux, le visage finaud, le dos voûté, les fit taire. Il regarda le petit garçon d'un air tellement neutre que ça n'augura rien de bon au petit Louis.

- « Salut »
- « Hum....Salut »
- « Tu t'excuses pas ? »
-- « Heu, si, si, bien sûr, si.....heu....Je m'excuse, je....j'étais pas attentif »
- « C'est mieux.......C'est pas grave va, ça arrive. Comment tu t'appelles ? »
-- « Louis.... »
- « T'es de quelle écurie ? »
-- « Hypnos.....et......et vous ? »
- « Hadès. »
--"....."
- « Oh.....Tu aimes les bonbons ? »
-- « Heu.....Oui »
- « Tiens, prend ça, c'est un cadeau. »

Il tenait dans sa main un petit paquet rond, gros comme une noix, enroulé dans un joli papier rose et blanc, mais métallisé. C'était joli.
Oubliant toute prudence, il pris le bonbon.

-- « Merci....C'est quoi ? »
- « Du chocolat, goûte, c'est super bon..... »
La voix était plus chaude, un petit sourire se dessinait au bord des lèvres du jeune homme. Mais toujours avec une certaine autorité, un peu cachée, mais suffisamment présente pour que Louis défasse le ruban rose et blanc, ouvre délicatement le papier métallisé et en sorte la noix de chocolat. Prudemment, il l'approcha de sa bouche et croqua dedans.
Chocolat noir.
Pas mauvais du tout.
Chocolat noir et....et....quelque chose de sucré, un peu sirupeux, comme le sirop qu'il y a dans certaines pralines, à la fraise.....Sauf que c'était à la framboise. Oh, oui, la framboise. Il adorait les framboises. Mais c'était étrange, on sentait aussi...un peu de sel, comme le sel de la mer, à
C'était vraiment bon et on devinait même un peu de vanille ou de rose, difficile à dire, comme le parfum de Tante Lola.
Il termina la praline d'un air ravi, sous l'œil hilare des mauvais farceurs (mais ça, il ne le savait pas encore), qui s'éloignèrent de lui.

Il sentit une main sur son épaule. Il frissonna.
- « Hey, Louis, ça va ? »
Jean-Charles, c'était Jean-Charles.
-- « Oui, ça va, merci, je.....je discutais »

Qu'est-ce qui lui arrivait ?

Pourquoi, soudainement, il n'osait pas parler à Jean-Charles ? Pourquoi, soudainement, il avait chaud, très chaud, tellement chaud qu'il en rougissait. A moins que ce soit parce que, d'un coup, il se trouvait très idiot, très inutile, surtout face à Jean-Charles.

Jean-Charles.
Avec ses jolis cheveux blonds bouclés, ses grands yeux bleus océan, il était un peu comme une fille, mais en plus joli.
Bleu océan ?
Un peu comme une fille ?
En plus joli ?
Mais qu'est-ce qui était entrain de lui traverser l'esprit ?
Sérieusement, Louis ?

Jean-Charles.......un prénom si héroïque, si noble. Il l'imaginait déjà dans un grand château de pierres blanches, sur les bords de Loire. Un lever de soleil en arrière-plan, les cheveux aux quatre vents. Main dans la main, ils règneraient sur leur domaine, calmes, sereins. Ah, que de gravité, à cet instant, dans son regard si pénétrant.

- « Louis ? Louiiis ? »
JC agita sa belle main fine et longue devant le visage de Louis. Ce dernier rougit encore plus et balbutia timidement, déglutissant avec difficulté.
-- « Je, heu, oui, heu, oui, on....on y va ? Enfin je veux dire, on va travailler, hein, bien sûr, pas autre chose, hé hé, oui, travailler »
- « Oui, d'accord..... »

Le blondinet haussa un sourcil. Mais qu'est-ce qu'il avait donc, aujourd'hui, Louis ?

Ils se dirigèrent vers un banc libre, à la table d'Hypnos, tranquille à cette heure-ci de la journée.
Tranquille, pas comme Louis, qui intérieurement, bouillonnait.
Pas de colère, oh non, il bouillonnait d'amour.
L'amour.
Ah, l'amour.
Non pas celui, tout doux, tout chaud, comme une grosse couverture de laine, qui a vu les ans tanner sa rugueuse cuirasse, de l'amour maternel.
Non, l'amour, le vrai, le grand, celui qui fait s'éveiller des papillons dans le creux du ventre

Ah, il était....Il était Tout, le monde, comme le disait Pétrus Borel, le poète lycanthrope.
Le premier cavalier est jeune, frais, alerte ;
Il porte élégamment un corselet d'acier,
Scintillant à travers une résille verte
Comme à travers les pins les cristaux d'un glacier,
Son oeil est amoureux ; sa belle tête blonde.....

Ah oui, ce Pétrus avait dû rencontrer un ancêtre de JC, c'est sûr ! Pour le citer aussi précisément, dans des détails si....si....précis.
Oh comme il était beau.
Et intelligent.
Son plan, pour la dissertation, était si logique, si parfait...Chaque argument s'enchaînait si bien dans l'autre, avec une telle fluidité....Que pouvait-il ajouter de plus là-dedans ? S'il changeait un mot, ce serait un désastre !

- « Essaye de pas trop, trop copier ce que je raconte, non plus, sinon le prof verra rouge.... »

Ah. Et bien il changerait, il intervertirait des arguments, il bousillerait son si beau travail, alors ! Ah, c'est bien pour toi, Jean-Charles, qu'il fait cela ! Rien que pour toi ! Et le vois-tu, Jean-Charles ? Non, bien entendu. Tu ne vois rien ! Jamais !

Comment le pourrais-tu, en fait ?
Puisque cela vient d'arriver....

- « Heu, Louis, si t'as fini....J'aimerais aller m'entraîner.... »

Cela vient d'arriver, Louis.
Si soudainement ?
C'est possible de tomber amoureux si facilement ? Si rapidement ?

- « Louis ? »

Attends. Pense à autre chose, Louis. Pense, mais pas trop, à un truc désagréable.
Ne pense pas à JC. Pense à Tante Adélaïde.

Le coup de foudre, ça n'existe pas. Enfin, si, dans les livres, mais dans la réalité, c'est fort probable. Papa et Maman se sont rencontrés à une soirée et il lui a fait la cour pendant trois ans avant que Grand-Maman accepte de le recevoir à dîner....Et Edmond et Flore, aussi, ils viennent à peine de se mettre en ménage, après.....presque dix ans de cour assidue par Edmond.
Non. C'est pas possible.

Réfléchis.

Pense, pense, pense !

Que ferait Sherlock Holmes ?
Il réfléchirait encore plus.

- « Louis ? Tu m'écoutes ? »
-- « Oui, oui, attend encore un peu.....heu....oui, attend, je réfléchis à un truc.... »

« Louis chéri, je sais que ça sonne comme tata Délaïde, mais....n'accepte pas n'importe quoi de n'importe qui ».

N'importe qui ?

JC passa une main impatiente dans ses boucles blondes et soupira. Mais qu'est-ce qu'il lui prenait, à la fin ? Il avait pris de la drogue ou bien ? Il était si pâle, tout d'un coup, il semblait si absent, mais en même si enfiévré....Étrange, vraiment étrange.

N'importe qui, comme....Comme des étudiants plus âgés ?

-- « Hé, JC.....Heu.....Dis-moi, tu t'y connais en potion ? »
- « Ben, ça va, quoi, pourquoi ? »
-- « La potion d'amour, tu sais, celle dont on a parlé lors du tout premier cours de potion..... »
- « Heu, ouais ? »
-- « .....ça s'appelle comment encore ? »
- « Heu.....Amorentia ?.......Amoratia ? Amora ?....Armorationa ? »
-- « Mmmh.....Enfin, merci.....Heu.....Oué, j'ai fini, tu peux partir »
- « Ok, a plus alors.... »

Jean-Charles, dans toute sa splendeur blonde, angélique, lui sourit, dévoilant timidement les perles blanches de ses dents. Puis il tourna le dos et s'en alla, se jurant de demander aux autres ce qu'ils pensaient de la conduite cocasse de Louis.

Louis avait, lui, l'impression d'être aux anges, mais se sentait, en même temps, particulièrement stupide et honteux.
Stupide de réagir comme cela. Merlin, ce n'est que JC, ton copain de cours, rien d'autre !
Honteux, parce que, comme d'habitude, il s'était fait avoir. Comme toujours, par des plus vieux que lui, parce qu'il n'osait pas riposter, se défendre. Parce qu'il fallait respecter l'autorité des plus âgés. C'est du moins ce que répétait en boucle Tante Adélaïde.

Enfin, il se jura de fuir, pendant quelques jours, la présence de Jean-Charles.
Même si son petit cœur battait très fort rien qu'à l'idée de le revoir. Rien qu'à l'idée de lui parler.
Et, comme à son habitude, Louis se dirigea vers la bibliothèque.
Il avait des informations à trouver....