Les cours étaient enfin terminés, c’était pour moi synonyme de la fin de la torture hebdomadaire. Suivre ces matières qui ne m’intéressaient pas était une des pires choses que l’on pouvait imposer à une rêveuse comme moi. Je n’avais aucune envie de savoir comment prendre soin d’une foutue plante immonde, et je passais l’ensemble des heures de classe le nez à la fenêtre. Souvent, les professeurs me rappelaient à l’ordre, mais ils apprenaient peu à peu que c’était vain, et abandonnaient. Après tout, on ne change pas une personne ! Mon caractère ne correspondait pas au mode d’apprentissage scolaire. J’aimais créer, toucher de mes propres mains. Les choses concrètes, tout droit issues de notre imagination, étaient celles qui touchaient ma sensibilité.
Nous avions pour habitude, avec mon amie Rosie, de nous retrouver à la tombée de la nuit, dans les jardins du château, pour célébrer la fin de semaine à notre manière. Nous aimions passer du temps ensemble, que ce soit pour discuter, refaire le monde, ou simplement ne pas parler. J’aimais être avec elle, c’était tout. Je ne m’en rendais pas tout à fait compte, mais j’étais devenue accroc à ces soirées en sa compagnie : me les enlever serait comme me briser le cœur.

Rosie était là, à côté de moi, et regardait au loin, ne disant pas un mot. De temps en temps, je laissais mon regard se poser sur elle. Sa chevelure châtain clair ondulait autour de son visage. Ses lèvres étaient d’une volupté sans nom, je me surpris à me demander ce que cela ferait si je déposais les miennes dessus… Un frisson brûlant me parcourut alors. Cela faisait plusieurs semaines que je ressentais ces picotements lorsque j’étais près d’elle, mais je refusais de chercher à comprendre ce que c’était réellement. Le soleil couchant illuminait sa peau, mettant en valeur son grain. Elle devait être si douce… Plus le temps passait, plus mes sentiments à l’égard de Rosie se révélaient à moi. Mais je n’osais pas encore leur faire totalement face, j’avais peur. Peur qu’elle ne les partage pas, peur de la perdre si je les lui révélais, peur de la dégoûter, je n’en savais rien… Je tenais énormément à elle, tout ce qu’elle faisait, tout ce qu’elle disait, je l’aimais. Elle était tout simplement une personne exceptionnelle. Durant tout ce temps, où nous avions été amies, je m’étais contentée de cela, faisant en sorte de la voir heureuse, réprimant mon affection. Aujourd’hui, quelque chose s’était éveillé en moi, une sensation que je n’avais jusqu’alors jamais rencontrée. Mon envie d’elle était plus intense que jamais, mais ce n’était pas ce qui m’animait le plus.
Cette année était ma dernière à Beauxbâtons. Je n’avais jamais eu de petit ami, je ne savais si j’avais eu envie un jour, ne serais-ce que d’embrasser un garçon. Je m’entendais très bien avec eux, mais je n’avais jamais rien vu au-delà de l’amitié. Je revoyais, tout au long de mon adolescence, mon entourage qu’il soit proche ou non, me demander « Alors, tu n’as pas de petit ami ? Et les amours ? Il n’y a pas un garçon qui te plait ? ». Ces questions me gênaient toutes affreusement, je ne savais pas quoi leur dire, je ne savais pas moi-même pourquoi les choses en étaient ainsi.
Ce soir là, quand je voyais Rosie, je réalisais enfin ce qui faisait partie de moi depuis toujours. Je pensais que, si je ne lui avouais pas tôt ou tard, je le regretterais amèrement ; qu’elle tenait assez à moi pour ne pas me rejeter quand bien même elle ne partagerait pas mes sentiments. Depuis la rentrée, j’avais décelé chez elle une attitude toute nouvelle à mon égard. Ses regards étaient plus intenses, je sentais que quelque chose s’était passé, un changement… J’avais toujours été douée pour saisir les sentiments des personnes autour de moi, j’espérai que cette fois, je ne me tromperais pas.
Alors, je plongeai mon regard dans le sien, cherchant les mots, essayant d’oublier mon angoisse.

Le visage de Rosie était serein, sa peau encore un peu éclairée par le soleil couchant ressemblait à du velours. Je sentais cependant quelque chose d’indécelable dans ses yeux. Je ne pouvais plus faire machine arrière, il fallait que je lui dise tout. Je m’approchai encore un peu d’elle, posant ma main, bien que toujours sur l’herbe, à quelques millimètres de sa cuisse. Ses jambes étaient allongées devant elle. C’était avec l’estomac noué que je pris la parole :
- Rosie, tu sais que je t’adore…
Je respirai, puis déglutis avec difficultés.
- Je veux dire, ça fait super longtemps qu’on est amies. Je tiens énormément à toi, je suis bien avec toi… Mais je… récemment j’ai réalisé que tout ça, c’est bien plus que de l’amitié.
Elle ne disait toujours rien. J’étais allée trop loin pour renoncer, il fallait maintenant que je lui dise tout. Elle ne semblait pas effrayée par ce que je m’apprêtais à lui dire, alors qu’elle le devinait déjà.
- Rosie je… je t’aime.
Elle ne parlait toujours pas, mais je sentais que tout allait bien. Alors ma peur s’évapora peu à peu, et la main qui n’était pas posée par terre caressa timidement sa joue, puis son cou.
- Je t’aime, un truc de dingue, poursuivis-je. Depuis que je te connais, je sens que j’existe. J’ai besoin de ton regard pour être réellement moi. Quand on est ensemble, je me sens bien dans ma peau, je n’ai jamais pu être comme ça, avant. Personne ne me comprend comme toi, tu vois ?
Elle m’écoutait, attentive. Je n’avais jamais autant parlé de ce que je ressentais, jamais fait autant de phrases qui commençaient par « je ». M’exposer ainsi aurait du me faire peur, mais il n’en était rien. J’étais en train de libérer tout ce que j’avais gardé sur le cœur depuis le jour où j’avais rencontré cette jeune femme. Dès les premiers instants, j’avais été frappée par sa beauté. C’était certainement le cas de beaucoup de gens qui la rencontraient, des hommes tout autant que des femmes. Son visage et son corps étaient tout deux irrésistibles. Mais ce que je ressentais, au-delà de simplement la trouver très belle, c’était une attirance que j’ai dans un premier temps refoulée au plus profond de mon être. Il m’avait été impossible de ne pas m’intéresser à elle de plus près, alors nous avions fait connaissances et j’avais découvert en elle une personne incroyable. Sa beauté intérieure égalait largement l’extérieur. Aujourd’hui, mon attirance pouvait enfin être révélée à ses yeux.
- Tu es magnifique, ajoutai-je en glissant un doigt dans sa chevelure dorée.
Je m’approchais encore d’elle, la main qui me soutenait passa de l’autre côté de ses jambes. J’étais alors penchée sur elle, mon visage tout près du sien, le bout de mes cheveux effleurant sa peau. Ma respiration était haletante, tout mon corps brûlait, j’avais follement envie d’elle. J’approchai encore un peu mes lèvres. L’instant semblait se décomposer, comme si je goûtais à chaque fraction de seconde. Je n’avais plus peur, je n’étais plus la Mélanie renfermée que j’étais avec tous les autres. Le temps repris brusquement son cours normal lorsque mes lèvres rencontrèrent les siennes.