Alix Ҩ Gaël

« Monsieur Fabre ? » Gaël sursauta et leva les yeux vers le professeur de sortilèges, qui le fixait étrangement. « Euh ... Oui monsieur ? » Il n'avait pas écouté. Ce n'était pas dans ses habitudes, vraiment, il était un élève plutôt studieux bien qu'il se permettait parfois quelques extravagances. Mais là, il n'avait véritablement pas écouté. Il avait décroché dés les premières minutes du cours, et ses yeux s'étaient fixés sur ses boucles blondes. A elle. Gaël se demandait toujours comment il avait pu ignorer sa présence tout ce temps. Jamais il ne l'avait véritablement remarqué. Bien sûr, il avait entendu parler d'elle, et il l'avait aperçu, après tout, elle était de la même année que lui et partageait donc pas mal de ses cours. Mais il ne l'avait jamais observé. Et puis, lors du festin de début d'année, alors qu'il était assis à une des tables rondes qui encombraient la salle à manger, entouré de ses amis, il l'avait vu. Gaël se repassait sans cesse cette scène, cherchant le détail qui avait attiré son attention, mais il ne le trouvait pas. Il l'avait juste remarqué, elle parmi tant d'autres, et elle l'avait comme fasciné. L'énergie autodestructrice qui se dégageait d'elle c'était ... renversant. Cette fille n'avait qu'un but, c'était se détruire elle-même. Et depuis ce jour une certitude s'était imprimée dans l'esprit de Gaël : elle avait besoin d'aide. Et il devait l'aider, coûte que coûte, à n'importe quel prix. Il ne pouvait pas la laisser se détruire comme elle le faisait actuellement.

« Monsieur Fabre, pouvez-vous me répéter ce que je viens de dire ? » Non, non il ne pouvait pas, et le prof le savait très bien. Victoire facile. Yael, en ami loyal, s'efforça d'aider le jeune Zeus et lui souffla le plus discrètement possible : « Les sortilèges informulés. » Mais le professeur était trop prêt et il braqua son regard sur le Dionysos. « Je vous ai parlé, jeune homme ? Non. Bien, vous pouvez remercier Monsieur Fabre, grâce à lui, vous écopez d'un devoir à rendre pour dans deux jours, en binôme. » Les exclamations impuissantes des élèves retentirent dans la salle de classe, et Gaël soupira. Yael allait lui faire la gueule. « Binôme que je vais moi-même former. Pas question que vous vous mettiez avec vos amis, c'est bien trop facile. » Nouveau soupir. Qu'est-ce qu'il détestait ce prof.

Ne prêtant pas attention aux quelques œillades meurtrières de ses camarades - ça leur passerait - il écoutait attentivement les noms que le prof donnait pour découvrir avec qui il devait faire ce fichu devoir. Il ne fallait pas compter sur Canelle ou Yael, ni même un de ses amis, fallait pas rêver non plus. « Monsieur Fabre sera avec ... Mlle D'Aramitz. » Gaël ouvrit de grands yeux. Quoi ? Avec ... Alix D'Aramitz ? Ca, si ce n'était pas le destin, alors ... A croire que le prof avait lu dans ses pensées. Ou remarqué qu'il l'observait. A vrai dire, il s'en foutait. Il savait juste qu'il allait enfin pouvoir parler à la jeune femme.

Lorsque la sonnerie annonça la fin du cours, il quitta sa table et se dirigea vers celle d'Alix. « On est en binôme. Vu qu'on doit le rendre dans deux jours, autant s'y mettre aujourd'hui, non ? Ce soir, 18h30 à la bibliothèque, ça te va ? » Après avoir obtenu son approbation, et non sans s'être excusé auprès d'elle et de plusieurs autres élèves de la classe pour le devoir qu'il leur avait fait obtenir, il quitta enfin le cours. La journée se passa sans incident notable et à 17h30, il fila à la Salle à Manger pour grignoter vite quelque chose avant de rejoindre la bibliothèque. A vrai dire, il se demandait presque si Alix viendrait. De ce qu'il avait compris au cours de ce mois, alors qu'il glanait quelques informations sur elle pour comprendre qui elle était, elle n'était pas spécialement quelqu'un réputée de fiable. Même pas du tout. Mais au fond de lui, il savait qu'elle serait là. C'était comme ça, c'est tout. Il ne la connaissait pas, mais elle serait là.

Après avoir avalé suffisamment pour caler son estomac, Gaël se leva, faussant compagnie à Yael et Canelle. « Je vais bosser sur le devoir de Sortilèges. » « Déjà ?! T'es trop sérieux Gaël, c'est pas drôle ! » Le jeune Zeus leva les yeux au ciel. Ses deux amis savaient très bien qu'il savait s'amuser quand il le voulait. Bien qu'étant en apparence quelqu'un d'assez simple, de bien sympathique, très altruiste, gentil comme tout, calme, studieux, sérieux, Gaël savait s'amuser. C'était l'une de ses nombreuses facettes, l'une des nombreuses choses que l'on découvrait au fur et à mesure qu'on apprenait à le connaître.

Gaël rejoignit donc la bibliothèque avec un bon quart d'heure d'avance. Il s'attabla, sortit de quoi écrire, ses livres de sortilège puis ... Il prit dans son sac son carnet de dessin, un fusain, et commença. Si sur la plupart des du calepin, qu'il avait commencé au début des vacances, il y avait des dessins sombres et morbides représentant des scènes de bataille, des morts, là, il dessina autre chose. Elle. Alix d'Aramitz. De dos. Cheveux au vent. Même de dos, il arrivait à représenter cette souffrance qui émanait d'elle. Fascinant. Il trouvait cela fascinant. Il l'avait longuement observé et dessiné au cours du mois qui s'était écoulé depuis la rentrée. Comme il le faisait avec beaucoup de monde, sauf qu'il prenait un plaisir particulier à lui donner vie sur le papier. Et puis il l'observait, plus il la dessinait, plus il savait qu'il devait l'aider, au moins lui parler.

Soudain, il entendit quelques pas prêt de lui, et il releva les yeux. Alix était là. Il lui adressa un sourire. « Salut. » Gaël lui fit signe de s'asseoir puis continua. « Je suis désolé, c'est de ma faute si on se retrouve là à bosser. J'aurai dû écouter ce que le prof racontait. » De nouveau, un sourire. Gentil, doux. Le genre de sourire que Gaël offrait à tout le monde et n'importe qui. « On se met à bosser ? »

La réalité des choses nous rattrapait toujours trop vite, et Alix, pour une fois trop naïve, avait cru pouvoir échapper à cette fatalité. Elle avait cru pouvoir se présenter devant Augustin, l'embrasser avec douceur avant de lui annoncer l'heureuse nouvelle. Elle portait un enfant. Son enfant, fruit de cet instant délicieux passé dans les jardins de l'Académie après la bataille. Mais qu'espérait-elle donc d'un homme dont elle n'avait eu aucun nouvelle durant les deux mois d'été, qui ne lui avait écrit aucune lettre et donné aucun signe de vie. L'été d'Alix, long, morne, triste, ennuyant, n'avait rien arrangé à son état général. La jeune femme avait passé le plus de temps possible loin des siens, dans la maison au bord de mer, à panser ses plaies béantes. Celles ouvertes par cette relation floue entre elle et Augustin, par son âme qui hurlait le manque qu'elle ressentait envers l'homme, l'envie de le sentir à ses côtés, de sentir sa main se balader dans ses cheveux, le sentir épouser ses formes, la rendre vivante, la faire soupirer de plaisir, la rendre folle de désir. En réalité, Alix s'était languie tout l'été d'une lettre d'Augustin, qui, elle le savait, ne viendrait jamais. Mais se retrouver seule et loin de tout lui faisait aussi du bien, lui permettait de faire le point sur elle, sur son année passée. Elle passait des heures assise sur les dunes à regarder la mer du Nord monter à marrée haute, descendre à marée basse, les enfants moldus jouer sur la plage, à s'imaginer un monde fantastique et bien plus magique que celui dans lequel elle vivait elle-même. De temps à l'autre, elle flirtait avec quelques gars qui passaient par là, en invitant quelques uns dans sa petite maison pour passer le temps. Elle passait des heures à cuisiner mais ne mangeait presque jamais rien de ce qu'elle préparait, l'appétit la quittant souvent alors qu'elle avalait quelques pilules hallucinogènes ou s'injectait dans les veines quelques drogues destinées à lui faire oublier son quotidien. Dans ces cas là, elle restait allongée dans son lit, seule, laissant ses pensées divaguer au rythme où la drogue la prenait dans ses méandres. De temps à autre, elle lisait les quelques lettres que des amis ou des connaissances lui envoyaient, sans jamais y répondre cependant ; ou recevait Hortense qui venait lui rendre visite. Mais pas une seule fois elle ne mit les pieds aux Château de Tilques, pas même lorsqu'Ezerbeth vint durant trois jours visiter ses parents et sa grand-mère ; afin de ne pas déroger à la tradition. Elle ne manqua sûrement à personne et personne ne lui manqua -sauf Augustin. Et puis la réalité l'avait rattrapé. Ce ventre légèrement rebondit. Un léger calcul rapide. Trop longtemps qu'elle n'avait pas eu ses règles. Puis passé la panique et la stupeur, la joie de trouver enfin quelque chose auquel s'accrocher. Cet enfant, Alix le garderait, elle se l'était jurée. Et trop naïve, trop aveugle lorsqu'il s'agissait du professeur, l'illusion de pouvoir vivre heureuse avec l'homme, qu'ils élèvent à deux cet enfant l'avait fait rêver un temps, avant le sort, cruel, ne frappe à nouveau et lui plonge le nez de ce merdier de réalité qu'on appelait vie.

Et maintenant, à quoi s'accrocher ? Alix replongeait plus sûrement que jamais.

La vie reprenait, continuait. Beauxbâtons s'était reconstruit doucement, mais sûrement et si certaines partie de l'Académie portaient toujours les marques des combats, les jardins et les bâtiments retrouvaient peu à peu leur splendeur. Là où l'espoir fleurissait à nouveau, Alix fanait à vue d'œil. La vie qui grandissait en elle ne lui importait plus tant que ça, maintenant qu'elle se retrouvait à nouveau seule. La jeune femme vivait déconnectée la plupart du temps, sous l'emprise des drogues qu'elle avalait sans prêter attention ni à sa santé, si à sa vie. A quoi bon ? Le désespoir lui nouait la gorge, l'appétit la quittait de nouveau. Tel un animal mourant, Alix se laissait mourir à petit feu.

Assise devant son bureau, la jeune Dionysos n'écoutait le cour que d'une oreille vaguement attentive. Les premiers cours de l'année se résumaient en général à de la révision ou alors abordaient de manière peu profonde les nouvelles notions, qu'Alix, après la lecture de ses livres, avait déjà toutes acquises sur un plan théorique. Comme souvent, donc, la blonde s'ennuyait durant les leçons et prenait de vagues notes. Elle ne réagit absolument pas, comme la plupart de ses camarades, à l'annonce d'une punition collective et d'un devoir à rendre en binôme deux jours plus tard et ne chercha même pas à savoir qui était Fabre. Celui-ci vint de lui-même à la fin du cours lui proposer un rendez-vous à la bibliothèque le soir même. Alix hocha vaguement la tête avant de laisser le jeune homme en plan.

Alix alla se réfugier le reste de la journée dans une salle de classe inutilisée depuis bien longtemps, une de ses planques avec Justin quand l'un avait besoin ou envie de l'autre et y resta à fumer un joint et s'embrumer l'esprit jusqu'à ce que l'heure avance et qu'il soit temps de se rendre au point de rendez-vous.

Son visage pâle, une expression froide et distante sur le visage, la jeune femme retrouve son camarade attablé. Elle ne signala pas sa présence, ne le salua pas, resta de marbre face à ses tentatives pour être agréable ou aimable. Son regard légèrement trouble, elle se contenta de sortir des cours, des notes et de quoi écrire. C'était quoi le sujet, déjà ?