Dans les bras, je tenais l’énorme licorne en peluche. Je comptais bien, d’ailleurs, la voir trôner en bonne place sur mon lit. Quant aux deux autres machins que j’avais gagnés… J’envisageais très sérieusement d’en refourguer au moins un des deux à mon frère pour me venger. Je lui mettrai peut-être le serpent sous la couette, pour le coup… D’autant qu’il ne raffolait pas trop de ces bêtes-là, même s’il ne s’agissait pas de son épouvantard. Bon… Ok, c’était méchant. Mais entre le piquage de fringues – non, je n’avais toujours pas de preuve que ça venait de lui –, le gage plan drague – ma joue me faisait encore mal dès que j’y repensais –, et son abandon pour la sortie à la fête foraine, j’en avais gros sur la patate. J’aimais mon frère, plus que n’importe qui d’autre, mais quand même… J’étais rancunière. Donc, il aurait le serpent, et puis voilà. Quant à l’éponge… Je trouverais bien un gamin quelque part… Ou peut-être un cadeau de rentrée pour celui qui aurait l’air le plus perdu ? Ce pouvait être une bonne idée, tiens ! D’autant que j’étais préfète !

Je la validai mentalement et me tournai vers Micaela, profitant que Nathanaël regardait autre chose.

« Concert… » soufflai-je.

Un seul mot. Pas plus. Mais cela suffisait amplement à résumer ce que je voulais dire. Il n’y avait rien à rajouter. Ce concert, Flo nous ayant honteusement lâchées, était un moment entre ma cousine et moi, exclusivement. J’avais beau adorer mon cousin – moins que Mi, quand même – il n’était pas inclus dans ce plan. Il ne comprenait pas notre attachement à la musique. Ou bien était-ce moi qui avais fini par m’en persuader ? Toujours était-il que je réorganisais mon paquetage pour attraper ma cousine par le bras et l’entraîner à travers la foule, loin de son jumeau. Désolée, Nath. Mais t’es pas musicien. Tu ne comprendrais pas… songeai-je.

Enfin, nous arrivâmes à destination, dans les jardin de l’académie. Ill y avait, déjà, un monde fou. C’était assez impressionnant, d’autant que l’ambiance était déjà électrique, même si le groupe n’était pas encore sur scène. Prenant garde à ne surtout pas lâcher le bras de Micaela, je nous entraînais à travers la populace pour gagner le premier rang. D’ici, nous aurions une vue imprenable sur la scène et ne manquerions rien du spectacle.

« Tu crois qu’on sera un jour à leur place ? » lui demandai-je juste avant que le chanteur n’apparaisse sur la scène.

Je me joignis, alors, aux cris d’enthousiasme. D’autant que j’adorais ce chanteur… Alors pouvoir assister à un concert, gratuit en plus… Non, réellement, j’étais en délire.

- On m'a dit que les français étaient coincés.

Je me joignis aux sifflements et aux huées de la foule. Sur le visage, j’avais un large sourire. Il ne manquait que mon frère, et tout serait parfait.

- Je leur ai dit que même avec un balai dans le cul, vous pourriez pas me résister.

Ne pouvant applaudir, je tapai des pieds par terre et le regardai fixement alors qu’il empoignait sa guitare. La mienne était une guitare sèche. Aucun rapport avec la sienne mais, néanmoins, je ne pus m’empêcher d’observer l’instrument, l’imaginant entre mes mains.

Le concert… Nous y étions, au premier rang. Mon euphorie, malgré tout, était limitée par l’absence de mon frère jumeau. Il me manquait, c’était certain. L’espace d’un instant, je me pris à regretter d’avoir arraché ma cousine à son propre jumeau, avant de me rappeler, toutefois que Nathanaël ne partageait pas – à ma connaissance – notre goût prononcé pour l’art de la musique. Mais au fond… Peut-être faudrait-il que je lui en parle, simplement ? Peut-être nous avait-il caché qu’il était batteur ? Ce serait tellement parfait… Juste incroyable, juste… L’idéal, au fond. Mais non, bien sûr, ce n’était pas possible, je le savais bien au fond de moi. Rêver à ça ne servait à rien. Peut-être Micaela rêvait-elle de cela, aussi. De sa part, ce serait nettement mieux placé que de la mienne. Mais il était vrai que je ne supportais pas de voir à quel point elle souffrait de l’éloignement de son jumeau.

« J’aurais dû emmener Nathanaël avec nous… » murmurai-je.

Peut-être m’avait-elle entendue, mais, avec le bruit qui venait de la scène juste devant nous, et les hurlements de la fosse autour de nous, j’en doutais fort. Et c’était tant mieux. Je serrai un peu plus la licorne contre moi, la coinçant sous mon bras, pour pouvoir applaudir lorsque le premier morceau débuta enfin. D’où nous étions, la musique était vraiment très forte et, à n’en pas douter, j’aurai des acouphènes pendant plusieurs heures à la fin de la soirée. Mais ce n’était pas grave. A mon sens, le jeu en valait la chandelle. Pour rien au monde je n’aurais troqué ma place contre une autre, plus éloignée de la scène. D’ici, je pouvais voir le moindre accord sur la guitare. Voir comment le musicien plaçait ses doigts pour obtenir telle ou telle note.

En même temps que Themis, je chantais. Mais personne ne pouvait m’entendre. C’était ce qu’il y avait de bien, avec les concerts des autres : je pouvais m’entraîner sans personne pour m’entendre. Je chantais bien, je le savais… J’avais une belle voix, je le savais aussi. Et, surtout, je n’étais pas timide ! Je rêvais, d’ailleurs, de me produire sur une scène, un jour, devant un public aussi en délire que celui-ci. Mais…

« Pourquoi un jour ? »

Je redescendis sur terre dans l’instant à la phrase de mon aînée de quelques jours.

« Tu ne rêves pas d’être à sa place ? D’être célèbre ? D’être adulée dans le monde entier ? » demandai-je avec ferveur.

Au fond, nous n’avions jamais parlé de l’avenir de notre petit groupe familial. Assez hétéroclite, à dire vrai, vu que ma cousine jouait du violon. On faisait plus rock… D’un autre côté, je n’oubliais pas un autre vieux groupe, familial lui aussi, qui avait également en son sein une violoniste… Et qui était, ma fois, relativement rock, lui aussi… Mais était-ce réellement réalisable ? Micaela était timide, et peut-être avait-elle d’autres ambitions, dans la vie ! Quant à moi… Moi, j’hésitais. Entre la musique et la médecine. Entre les arts de la scène, et l’art de soigner les gens ou les animaux et créatures. Je ne savais pas encore où mes pas allaient me mener. Je savais qu’il était grand temps que j’y réfléchisse, mais je continuais à reculer, à profiter de l’instant présent, sans pour autant me couper un chemin ou l’autre. Oh non… Au contraire… Je faisais très attention à me ménager plusieurs portes de sorties. Mais l’art, la musique… C’était mon rêve, ma passion… Les animaux et créatures aussi… Et je n’aimais pas voir les gens souffrir. Non, réellement, je ne savais pas encore où se trouvait mon destin. J’aurais, pourtant, bien aimé pouvoir répondre à cette interrogation…

Je poussai un soupir.