Certains prennent une pause en fumant, d’autres en lisant, pour ma part la musique est ma parenthèse. La musique, oui mais pas n’importe laquelle, je suis la directrice de l’orchestre de Beauxbâtons, et je peux compter parmi les élèves, de talentueux musiciens, ensemble nous créons la beauté. Ces cours me sont précieux, ils nous enveloppent dans une bulle, où tous, peuvent exprimer sans mot ce qu’il y a en eux. Nous y étudions des grandes œuvres de grands compositeurs, je suis très à cheval sur le classique, tout en n’omettant pas d’adapter des musiques actuelles sous forme classique. L’atelier se déroule ainsi, la première demie heure, je demande la révision des morceaux que nous avons étudié au préalable, tous ensemble, nous répétons donc. Et la dernière demie heure, j’invite certains élèves à se présenter devant la classe, pour nous présenter un morceau de leur choix, ils peuvent le réinterpréter comme bon leur semble, c’est leur moment de liberté musicale. Ici, pas de note, juste la musique et l’appréciation verbale qui suit chaque passage, les élèves sont plutôt libres pour s’exprimer et donner leur ressentit sur ce que vient de jouer leur camarade. Assise dans la salle, j’attends derrière le piano que les premiers musiciens n’arrivent, j’entends les pas pressés et discussion dans les couloirs, mais comme si j’étais seule, mes doigts effleurent les touches du clavier. Je joue du piano depuis mon entrée dans l’école en tant qu’élève, je n’ai nul besoin de partitions pour saisir les notes sur l’instrument, ça coule de source en moi. En plus de jouer du piano, je joue du violoncelle, appris un peu plus tard et je chante. J’ai repris l’orchestre de l’école 1 an après mon arrivée en tant que professeur dans l’école et je ne regrette en rien mon choix. Ce qu’apporte la musique n’a pas de prix, je trouve même que cette discipline est plus magique que la magie elle-même. Pas de baguette ici, pas d’apparition inexpliquée, juste une réunion sereine d’artistes, de compositeurs en herbe et de passionnés de mélodies scintillantes à l’oreille. La porte s’ouvre et les notes se taisent, je lève les yeux vers le premier élève qui entre et le salue en silence, je me lève du piano et prends place, gracieusement face à eux. Debout, dans une posture noble et stricte, les mains croisées, j’attends que tous s’installe pour commencer.

Ah le violon, la musique, ces ressentis grisants qui s'infiltrent en mes veines et me portent loin de toute réalité ; il n'y avait aucun mot pour exprimer la transcendance de l'âme qui se jouait en moi lorsque je faisais vibrer les cordes de mon instrument. Violoniste depuis mes neuf ans, l'on m'avait prescrit une sorte de précocité musicale, de celles qui vous font connaître le solfège sur le bout des doigts sans jamais vraiment s'y être penché. J'excellais tant dans le domaine musical que je l'avais érigé comme étant bien plus important que ma vie sociale, je n'avais cure de mes camarades et plaçais mon violon avant tout et tout le monde. De ce fait, je passais mes journées à m'entraîner, jour et nuit, me privant parfois de sommeil et de dîner. Je trichais bien sûr sur le temps que je m'accordais à mon noble instrument, car aucun être normalement constitué pouvait décemment suivre des cours et s'adonner à la musique jusqu'à quatre heures par jour, voire plus. Et mon secret résidait dans ces dopants moldus, autrement appelés amphétamines que je cachais à la vue de tous : grâce à eux, je n'avais ni faim ni sommeil : mon estomac criant famine et Morphée m'intimant de me lover dans ses bras n'étaient plus mes ennemis, sinon des obstacles risibles. Et l'une des rares personnes à comprendre mon acharnement maladif à m'exercer ainsi, n'était autre que le professeur Belgarde : combien de fois avait-elle pris mes doigts endoloris entre ses mains soigneuses, dardant mes coupures rougies dans un froncement de sourcils avant de me sermonner. Mais qu'importait. Rien n'importait, sinon mon violon. Rien d'autre... ou presque.

Marchant d'un pas altier dans les couloirs bruyants, je ne daignais accorder aucun regard à mes camarades musiciens bavardant entre eux sur le seuil de la porte, préférant pénétrer les lieux d'une démarche noble et solitaire. L'écrin de mon violon à la main, je me contentais de saluer brièvement le professeur d'un signe de tête, de prendre place, et d'ajuster mon pupitre. Sortant mon violon de son écrin satiné, je passai minutieusement un coup de chiffon sur mes cordes légèrement enduites de colophane, vérifiant la vibration d'une oreille attentive. Un soupir enfin, presque insolent, s'échappa de mes lèvres dans l'attente de mes compagnons.