Les arbres étaient gris et les fleurs fanées. La nature était éteinte, et je ne pouvais m’empêcher de ressentir une tristesse immense en posant mes yeux sur ce spectacle macabre. Cette nuit d’octobre était froide ; le petit vent qui agitait légèrement les branches en était certainement la cause. On m’avait appris qu’Anatoë, un centaure particulièrement friand de littérature viendrait à la rencontre d’un membre du Cercle. Afin de faire mes preuves, j’avais été chargée de lui barrer la route, de le persuader de ne pas mettre en application la menace qu’il avait proférée à l’encontre du Cercle.
Je vis peu à peu sortir de la pénombre cet être, mi homme mi cheval, cette créature incroyable par la force qu’elle dégageait. Il avait un air solennel, et semblait peu enclin à négocier. Alors plutôt que de s’empêtrer dans des digressions, il fallait user de la beauté de la littérature, des mots posés les uns à côté des autres dans cette harmonie parfaite appelée poésie. Il fallait lui signifier l’amour des poètes envers la nature, et ainsi lui montrer que nous n’y étions pour rien dans ce qui arrivait à la forêt. C’est alors que des vers de Victor Hugo surgirent de ma mémoire.
Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme!
Au gré des envieux, la foule loue et blâme ;
Vous me connaissez, vous! - vous m’avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Il s’approcha doucement de moi, mais son visage demeurait fermé.
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Son regard s’apaisait peu à peu, alors je me sentis plus calme et continuai ma récitation.
Et je suis plein d’oubli comme vous de silence!
La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;
Toujours, - je vous atteste, ô bois aimés du ciel! -
J’ai chassé loin de moi toute pensée amère
[…]
Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
Je vous aime, et vous, lierre au seuil des autres sourds,
Ravins où l’on entend filtrer les sources vives,
Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives!
Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime!
Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,
Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt! c’est dans votre ombre et dans votre mystère,
C’est sous votre branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
Et que je veux dormir quand je m’endormirai.